Anne HOLT : Bienheureux ceux qui ont soif…

Anne HOLT : Bienheureux ceux qui ont soif...

Présentation Éditeur

Oslo, la chaleur d’un printemps exceptionnel pèse sur la ville. L’inspectrice Hanne Wilhelmsen va se trouver confrontée à deux affaires difficiles. D’une part, les  » massacres du samedi  » après lesquels on découvre, en des endroits différents, d’énormes quantités de sang mais pas de cadavre… D’autre part, une jeune femme violée dans des conditions atroces. Le portrait robot du violeur est trop vague pour être utile, et le désir de vengeance de la victime et de son père inquiète l’inspectrice : ils pourraient bien faire justice eux-mêmes…

Un roman troublant sur le racisme ordinaire et les agressions sexuelles. Mais aussi un polar qui dénonce les dysfonctionnements du système judiciaire norvégien.

Origine Norvège
Titre Salige er de som tørster, 1994
Éditions Odin
Date 20 mars 2000
Éditions Points
Date 4 octobre 2002
Traduction Gro Tang
Pages 230
ISBN 9782020395120
Prix 6,70 €
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L'avis de Cathie L.

Le titre est une citation de la Bible, Mathieu, 5,6:  » Bienheureux ceux qui ont soif de justice car ils seront rassasiés. »

L’action se passe du dimanche 9 mai au jeudi 10 juin, en pleine canicule. Une affaire de viol sur laquelle se greffe une affaire de racisme, deux sujets toujours d’actualité – malheureusement !

Bienheureux ceux qui ont soif est le deuxième roman d’Anne Holt, le deuxième également de la série  » Hanne Wilhelmsen ». C’est un livre pathétique, dont l’intrigue porte le poids des affaires de viol, plutôt récurrentes dans la carrière d’Hanne puisque c’est la 42e dont elle ait à s’occuper depuis qu’elle fait partie de la police:  » Le viol était vraiment la pire des choses. Un meurtre, c’était différent. D’une certaine façon, elle pouvait comprendre un meurtre. Un moment de rage sauvage et incontrôlable, une émotion violente, une agressivité accumulée depuis des années. C’était en quelque sorte compréhensible. Mais un viol, non! ».

Comme toujours avec Anne Holt, le style est bien maîtrisé, propre et net comme un coup de scalpel qu’elle donne dans le tissu gangrené de la société moderne, gangrené par les crimes de toutes sortes, mettant à nu la détresse et la solitude profonde qui souvent accablent l’homme d’aujourd’hui. Tout est carré, pas de fioritures, pas de digressions handicapantes. Pour autant, le lecteur ne s’ennuie jamais.

Le roman commence par la découverte de beaucoup de sang dans une remise à bois vide; pas de corps. Personne n’a rien vu ni entendu. Seul indice: une série de chiffres tracés dans le sang : 9.2.0.4.3.5.7.6. L’enquête piétine quand, une semaine plus tard, on découvre une deuxième mare de sang sur un parking; comme la première fois, pas d’arme, pas de corps, mais une série de chiffres tracés dans le sang. Et le samedi suivant, découverte d’une autre mare de sang dans une remise près de la rivière, sans aucun indice.

C’est alors qu’une jeune femme se fait violer chez elle. Désormais, la priorité est l’enquête sur les agressions sexuelles, la 6e en moins de deux semaines. Pourtant, une semaine après ce viol, on découvre une autre mise en scène sanglante dans une station de métro d’un ancien quartier de banlieue.

Les deux enquêtes sont-elles 
liées ??

Pour la deuxième fois, nous retrouvons Hanne Wilhelmsen, inspecteur de police, le procureur Haakon Sand, ainsi que l’avocate Karen Borg, qui vont à nouveau collaborer dans cette difficile affaire de viol.

Les personnages d’Anne Holt, qu’ils soient récurrents ou secondaires, sont toujours bien dessinés; ils font avancer les intrigues, livrent au lecteur une ligne de pensée, un état d’esprit donnant ainsi une grande crédibilité à l’histoire, à la façon dont elle se déroule.

Hanne Wilhelmsen est un bon flic, possédant suffisamment de personnalité pour imprimer à son enquête sérieux et compétence. Elle est reconnue par ses pairs bien qu’elle soit issue d’un milieu bourgeois qui, dans un premier temps, avait vu sa profession d’un mauvais œil.
Dans ce second opus, nous retrouvons Karen et Haakon, qui  » (…) depuis maintenant presque quatre mois, se retrouvaient régulièrement, souvent plusieurs fois par semaine. Ils dînaient et allaient au théâtre, se promenaient dans les bois et faisaient l’amour dès qu’ils en avaient l’occasion. A savoir rarement. Comme elle était mariée, l’appartement conjugal était exclu. Son mari était au courant de sa liaison avec Haakon, mais le couple avait décidé de ne pas couper les ponts avant d’être fixé sur la nature de cet attachement. »

Viennent ensuite les personnages directement liés au roman, notamment Kristine, la jeune femme qui se fait violer chez elle. Elle a 24 ans et étudie la médecine. Orpheline de mère, elle entretient un rapport particulier avec son père:  » Élever seul Kristine avait été difficile à tout point de vue. Il venait juste de terminer ses études de dentiste, à une époque où ce métier, naguère si lucratif, devenait moins avantageux en raison d’une très efficace politique de prévention dentaire menée pendant vingt-cinq ans par l’Etat social-démocrate. Mais il s’en était tiré. De plus, au milieu des années soixante-dix, la pleine effervescence féministe l’avait paradoxalement servi. A un père célibataire qui insistait pour élever sa fille, l’Etat accordait toutes sortes de subventions. En outre, il avait bénéficié de la sympathie de son entourage et d’une aide très efficace de ses voisines et de ses consœurs. »

les lieux, dans un roman policier, sont une composante importante de l’intrigue. Leur description,  plus ou moins soignée et détaillée selon les auteurs, constitue néanmoins une composante incontournable d’un bon roman. Anne Holt, en artiste scrupuleuse, ne déroge pas à la règle. Ainsi, la ville d’Oslo, théâtre des intrigues de la série « Hanne Wilelmsen, bénéficie d’une d’une mise en scène particulièrement réussie.

Vue d’ensemble:  » Oslo se déployait devant eux. Sale et poussiéreuse, sous une chape de pollution encore visible. Le ciel n’était pas vraiment noir et ne le serait d’ailleurs plus avant la fin août. Ici et là, ils pouvaient voir une étoile briller faiblement. Les autres semblaient tomber sur Oslo, parsemant la ville d’un tapis de petites lumières, du mont Gjeller à l’est jusqu’à Baerum à l’ouest. A l’horizon, la mer brillait, noire comme du jais. » (Page 155)…

Le contraste entre les deux parties de la ville:  » Le bâtiment datait probablement du début du siècle. Il s’levait du côté ouest de la ville et était restauré avec soin. Ça n’avait rien à voir avec les immeubles  du côté est qui, eux, juraient en mauve, rose et autres couleurs qui n’existaient même pas à l’époque où ils avaient été construits. » ( Page 44) Et plus loin:  » Son cabinet dentaire se trouvait dans une immense villa de Frogner, un quartier chic si ancien et si coté que nul ne pouvait se permettre d’y vivre (…) Par contraste, il détectait dans l’air d’Oslo une autre atmosphère. Ni vraiment vulgaire, ni vraiment sale, mais le niveau sonore y était plus élevé, les gaz d’échappement formaient une nappe plus dense, la ville exhalait des effluves plus forts (…) » (Page 82).

Comme je l’ai dit plus haut, Anne Holt possède une excellente connaissance de la police norvégienne pour laquelle elle a longtemps travaillé, faisant profiter le lecteur de son expérience professionnelle afin de l’immerger dans le cœur de l’enquête:  » La police d’Oslo affrontait son pire printemps. Depuis six semaines, la ville connaissait sa 3e affaire de meurtre – dont une énigme totale- et pas moins de seize viols, dont six fort médiatisés et un 7e sur-médiatisé même, dans la mesure où la victime était  une députée du parti chrétien-démocrate (…)L’opinion publique, chauffée par les tabloïds, stigmatisait l’apparente inertie du 44 rue du Nid-du-Gronland, le siège de la police. » (Page 17)….Plus loin:  » La police agirait évidemment s’il allait la voir. Il n’en doutait pas. Elle arrêterait le type, le soumettrait à de nouveaux tests établissant des preuves concrètes et décisives de sa culpabilité. Puis, on le mettrait en taule. Pour un an, un an et demi. En cas de bonne conduite, on le dispenserait d’un tiers de sa peine. Si bien que le salaud s’en tirerait avec moins d’un an derrière les barreaux. Moins d’un an! Pour avoir brisé sa fille! » (Page 185).

Atmosphère: pour finir de camper le tableau, la canicule qui s’abat sur la ville alors que l’action se déroule au mois de mai:  » Un parfum de merisier s’appesantissait le long des routes comme si on s’était trouvé en plein été, les roses dans les jardins s’épanouissaient tandis que les tulipes qui, normalement, auraient dû être dans toute leur splendeur, étalaient déjà vulgairement leurs pétales prêts à tomber. Les insectes bourdonnaient d’ivresse au milieu de cette exubérance ( …)même les amoureux de la saison estivale guettaient les nuages et regardaient avec lassitude le disque blanc du soleil jaillir chaque matin vers 5 heures, déjà brûlant, après quelques heures de nuit sans fraîcheur. »  C’est comme si une malédiction s’était abattue sur la ville norvégienne qui semblait prise sous le coup d’un mauvais sort. Le monde est devenu fou: la canicule en plein mois de mai; les hommes brutalisant les femmes; des crimes odieux sans corps ni arme…Est-ce la fin du monde ???

La prose sobre et efficace d’Anne Holt opère une véritable magie. Les personnages, les lieux, le travail de la police, jusqu’aux méandres d’une intrigue qui dévoile les instincts les plus sombres de l’être humain et les déficiences d’un système judiciaire qui ne semble pas à la hauteur pour enrayer le mal qui s’abat sur la ville, tout, dans ce roman, témoigne d’une maîtrise du sujet et de l’écriture. Témoignant également d’une montée en puissance depuis le précédent livre. Bravo Anne Holt!!!

Cathie L.
Cathie L.http://legereimaginareperegrinareblog.wordpress.com
Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...
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