Présentation Éditeur
Dans le vacarme d’un réveillon de nouvel an, María n’entend pas ce que son mari lui annonce : il la quitte pour son collègue, spécialiste comme lui de la théorie du chaos. La voilà confrontée au grand vertige de la séparation. Heureusement, Perla est là, charitable voisine d’à peine un mètre vingt. Comme les lutins des sagas, Perla surgit à tout moment pour secourir la jeune femme sidérée, dont les mésaventures inspirent étrangement le traité sur le bonheur qu’elle est en train d’écrire.
Avec L’Exception, on s’amuse des mœurs de la société islandaise à travers des personnages bousculés par le sort qui se jouent de toutes les drôleries de l’inconstance humaine.
L'avis de Cathie L.
L’exception, Undantekningin en version originale publiée en 2012 en Islande, traduit pour la première fois conjointement en français, en espagnol et en italien, a été publié en 2014 par les éditions Zulma et a obtenu le Prix Littéraire des Jeunes Européens en 2016.
Construction du roman : dans ce roman plein de fraîcheur et d’optimisme, Audur Ava Olafsdottir continue l’étude de mœurs qu’elle avait amorcée avec tant de bonheur dans Rosa Candida où son personnage principal, se trouvant aux prises avec un destin contraire, devait puiser dans ses ressources personnelles pour surmonter l’adversité. Ecrit à la première personne, avec de nombreux flash-backs dont certains directement intégrés dans le récit, les chapitres courts reprennent les heures puis les jours qui suivent cette fameuse soirée de la Saint-Sylvestre où l’univers de Maria a basculé du côté sombre.
Elle y aborde des thèmes aussi variés que l’homosexualité; la différence; l’aide humanitaire, en particulier les enfants victimes de la guerre; la trahison et comment y survivre tout en conservant son intégrité; la culpabilité (à ce propos, Maria se demande quelle genre de femme elle est pour ne pas avoir pressenti l’homosexualité de son mari) ; l’adoption.
La gémellité est également un thème qui sous-tend le roman dans le sens où l’auteur fait souvent allusion au comportement des jumeaux de Maria, à leurs différences, au fait qu’ils n’évoluent pas au même rythme :
« ils s’amusent le plus souvent ensemble mais nous nous sommes parfois inquiétés qu’il la laisse presque toujours mener le jeu. C’est elle qui prend l’initiative pour tout; elle s’exprime la première, disposant d’un vocabulaire plus varié, et se montre plus indépendante(…) Il semble s’accommoder du fait que sa sœur impose les règles du jeu et il devient vite agité et fatigant quand il en est séparé une partie de la journée ». (Page 36)
Autre thème qui apparaît en fil rouge tout au long du roman est celui du travail d’écriture. En effet, Perla, la voisine de Maria, conseillère conjugale, écrit des romans policiers pour un auteur connu afin d’arrondir ses fins de mois, mais elle écrit également ses propres ouvrages, notamment un guide sur le mariage (Ironie de l’auteur ??)…
« A vrai dire, j’ai passé la nuit à raturer au fur et à mesure ce que j’écrivais. Je remarque qu’elle tient en main un carnet noir et un stylo.-Un écrivain est tout le temps en train d’écrire, même avant qu’il s’y mette effectivement. » (Page 40)…
« La fiction romanesque est à vrai dire le seul domaine où je peux produire de nouveaux partenaires pour les gens. Dans le dernier roman, j’ai fabriqué une petite amie pour le commissaire chargé de l’enquête, mais celui dont le nom figure en gaufrage argenté sur la couverture l’a fait assassiner au chapitre douze. » (Page 73/74).
Le ton : bien sûr, L’exception raconte un événement tragique dans la vie d’un être humain : une femme abandonnée par son conjoint qui fait son « coming out » ; rien de drôle donc. Et pourtant, le ton du roman reste empreint d’optimisme : pas d’apitoiement, on ne se laisse pas abattre, nulle blessure qui ne puisse cicatriser si on fait ce qu’il faut pour. Une pincée de dérision, un peu de poudre de « on ne se prend pas au sérieux », plus une once d’un peu de détachement, et le tour est joué… L’essentiel est de comprendre pour rebondir.
L’intrigue
Le soir de la Saint-Sylvestre, quelques minutes avant que l’on bascule dans la nouvelles année : c’est le moment que choisit Floki pour annoncer à sa femme son homosexualité et son intention d’aller vivre avec son collègue et amant, prénommé également Floki, après onze années de mariage et la naissance de jumeaux. Pourtant, le couple semblait vivre un bonheur sans nuages. Alors pourquoi?
Désireuse de comprendre si elle a raté un épisode dans leur vie conjugale, Maria procède à une « enquête » en prospectant parmi ses souvenirs de leur vie commune afin de déterrer d’éventuels indices de l’homosexualité de son mari. Les questions envahissent son esprit :
« Comment cela a-t-il pu arriver, c’est incompréhensible, j’étais heureuse en ménage, mère de deux enfants, Floki était mon meilleur ami, tout le temps à me dire des mots gentils… » (Page 23)… « Ai-je été aveugle? Ai-je été trop crédule ? (…) Je ne soupçonnais rien. » (Page 41)
Tout le roman montre les différentes phases par lesquelles Maria passe : d’abord l’incrédulité ; ensuite, l’attente : il va se rendre compte de son erreur et revenir ; toute cette histoire n’est qu’un affreux malentendu :
« Il se tiendrait là, sur les marches déneigées, dans le vent du nord, un cœur sanguinolent offert dans sa main tendue et il dirait: -Pardon, Maria, c’était un malentendu. Pouvons-nous oublier tout ça ? » (Page 53).
Puis, tout en laissant l’opportunité à son mari de réintégrer le domicile conjugal à une date indéterminée, elle maintient le dialogue avec lui et lui pose de nombreuses questions sur son passé, sur leur passé.
Elle en arrive au constat qu’il est rare que l’on connaisse vraiment les personnes qu’on aime et avec lesquelles on vit; son père biologique, qui sait de quoi il parle, déclare :
« Les gens ne correspondent pas toujours à leur apparence(…) On a tous un secret quelque part. » (Page 163).
Malgré un mari qui fait son « coming out » la laissant se débrouiller avec leurs jumeaux âgés de 2 ans 1/2 ; un père biologique qui débarque de l’étranger sans crier gare pour mourir inopinément dans sa chambre d’hôtel, lui laissant le soin de rapatrier ses cendres dans son pays d’origine, Maria prend du recul et relativise sa situation en la considérant avec une froide et brutale lucidité qui remet les choses à leur juste place :
« Par comparaison avec les souffrances auxquelles je suis confrontée lors de mes pérégrinations à l’étranger -tous ces enfants martyrs, assis sur le drap sale d’un pauvre lit d’hôpital, contemplant leur moignon de jambe au pansement taché de sang-, un mari qui « sort du placard » (expression islandaise pour « coming out ») au bout de onze ans de mariage est d’une insignifiance au moins égale à ma douleur ». (Page 147). Tout est dit !!
Les personnages
Comme pour les lieux, peu de descriptions des personnages; les quelques détails physiques ne sont pas donnés sous forme de portraits mais disséminés un peu partout au fil de l’histoire. Par contre, on en sait beaucoup plus sur leur vie intime, leur caractère, leurs goûts…
- Floki Karl : mathématicien ; collègue et amant du mari de Maria, également prénommé Floki.
- Floki : mari de Maria, mathématicien ; bel homme à la voix virile et profonde. Au moment où Maria fait sa connaissance, il ne possédait que des vêtements et quelques livres, comme s’il n’avait pas de passé.
- Perla : voisine du couple ; psychanalyste et conseillère conjugale et familiale et écrivain ; naine, épais cheveux blonds ; n’aime pas spécialement les enfants mais accepte de garder les jumeaux de temps en temps; personne très aimable et serviable.
- Maria : narratrice: femme de Floki et mère des jumeaux ; mesure 1m73 ; belle femme aux courbes féminines; traits délicats, yeux verts. Courageuse, Maria ne se laisse pas abattre malgré la grande souffrance qu’elle éprouve; pas de cris, pas de larmes : « Je suis seule dans le lit avec toutes ces rondeurs féminines auxquelles mon mari ne s’intéresse plus. Je secoue la couette et empile les quatre oreillers que je dispose comme une muraille entre mon époux absent et moi. Le lit conjugal est un océan gris et tumultueux où je me débats du soir au matin… » (Page 94) Elle occupe ses insomnies nocturnes à cuisiner, ranger ses placards et nettoyer sa cuisine plutôt que de se morfondre.
- Les jumeaux : Bjorn et Bergthora, surnommés Bambi et Begga ; âgés de 2 ans 1/2 ; malgré leur présence pratiquement en continu, on en sait plus sur leur comportement, leurs goûts et leurs amusements que sur leur apparence physique.
- Steingrimur : jeune voisin de Maria, loue un studio de l’autre côté du jardin ; étudiant en ornithologie ; très serviable avec Maria pour laquelle il a un petit béguin.
- Bjorn : père de Maria ; adore jouer avec les jumeaux.
- Mère de Maria : on ne sait pas grand chose sinon qu’elle a eu Maria à l’âge de 19 ans avec un autre homme que Bjorn et qu’elle est professeur de langues.
- Albert : père biologique de Maria ; biophysicien et spécialiste de la mémoire ; bel homme aux cheveux poivre et sel, vêtu avec élégance.
- Hreinn : voisin où le couple possède un chalet d’été ; yeux d’un bleu glacé de lac de montagne, chasseur de renards.
- Bergthora : mère de Floki ; n’apparaît qu’à une occasion, à la fin du roman ; Maria s’entend bien avec elle sans pour autant qu’elles soient proches.
Les lieux
Les endroits où l’action se déroule sont très peu décrits, en particulier le pays d’origine du père biologique de Maria dont les indices fournis restent flous. Audur Ava Olafsdottir se contente de décrire succinctement la maison située en bord de mer: sa terrasse, les tapis, les papiers peints, etc…
Les seules indications précises concernent le climat qui règne en Islande en plein cœur de l’hiver, ce qui donne au roman une petite touche d’exotisme très agréable. On a l’impression d’être transporté dans un autre monde alors que l’Islande n’est pas si loin que ça de chez nous. Ainsi, les jours d’hiver dont on imagine mal la durée réduite à quelques heures à peine :
« Midi approche et la nuit polaire commence enfin à s’éclaircir en ce premier jour de l’année nouvelle. On devine presque la mer. » (Page 44)…
« Dans le ciel, une strie orange -rayon de soleil horizontal qui fait une percée dans le jardin, juste au-dessus des groseilliers… » (Page 48)
Conditions de vie qui nous sont étrangères mais dont il faut tenir compte, nous lecteurs, pour comprendre dans quel univers les personnages évoluent :
« La visibilité est quasiment nulle mais je ne quitte pas la route des yeux ni les bornes phosphorescentes. Il y a de toute façon peu de choses à tirer de la nature grandiose dans l’obscurité persistante qui remplit tous les recoins du monde. » (Page 100)
Mon avis
Dans L’exception, Maria, personnage principal du récit, confrontée au « coming out » de son mari, prend sur elle avec beaucoup de dignité, d’esprit et aussi d’humour, pour ne pas sombrer, même si on perçoit parfois combien il est difficile pour elle d’accepter le mauvais sort qui semble s’acharner sur elle.
Outre le ton optimiste et magnanime, sa justesse de vue parfois grinçante (comme dans la conversation entre Floki et Maria qui lui pose de nombreuses questions sur ses relations extra-conjugales d’un ton neutre, exempt de toute émotion) mais jamais méchante, ce roman comporte de nombreuses qualités, au nombre desquelles les moments de tendresse et le cocon de douceur dans lequel Maria enveloppe ses enfants ; ainsi que l’amitié qui l’unit à Perla qui veille sur elle de son amitié douce et respectueuse ; aucune acrimonie ni désir de vengeance. J’aime cette façon de relativiser, de ne pas tout détruire sous prétexte qu’on éprouve une grande souffrance.
On se laisse peu à peu prendre par la douce monotonie et le rythme faussement banal des heures et des jours qui s’écoulent au rythme du quotidien, sans doute le meilleur moyen de ne pas sombrer dans le néant.
Aucune fausse note dans ce roman très attachant : le déroulement de l’histoire, les personnages et les interactions qui les lient, l’évocation du climat hivernal, les rebondissements (oui, oui, il y en a…), les thèmes abordés, le message de l’auteur. Une jolie leçon de vie, l’exception est ce des livres qu’on voudrait qu’ils ne s’achèvent jamais…