Auður Ava ÓLAFSDÓTTIR : Le rouge vif de la rhubarbe

Le rouge vif de la rhubarbe, un très beau roman-poème que nous propose Auður Ava Ólafsdóttir avec Le rouge vif de la rhubarbe. Un hymne à une vie plus proche de la nature

Auður Ava ÓLAFSDÓTTIR : Le rouge vif de la rhubarbe

Présentation Éditeur

Souvent aux beaux jours, Ágústína grimpe sur les hauteurs du village pour s’allonger dans le carré de rhubarbe sauvage, à méditer sur Dieu, la beauté des nombres, le chaos du monde et ses jambes de coton. C’est là, dit-on, qu’elle fut conçue, avant d’être confiée aux bons soins de la chère Nína, experte en confiture de rhubarbe, boudin de mouton et autres délices.

Singulière, arrogante et tendre, Ágústína ignore avec une dignité de chat les contingences de la vie, collectionne les lettres de sa mère partie aux antipodes à la poursuite des oiseaux migrateurs, chante en solo dans un groupe de rock et se découvre ange ou sirène sous le regard amoureux de Salómon. Mais Ágústína fomente elle aussi un grand voyage : l’ascension de la « Montagne », huit cent quarante-quatre mètres dont elle compte bien venir à bout, armée de ses béquilles, pour enfin contempler le monde, vu d’en haut…

Origine Islande
Titre Upphækkuð jörð, 1998
Éditions Zulma
Date 1 septembre 2016
Éditions Zulma
Date 5 avril 2018
Traduction Catherine Eyjólfsson
Pages 144
ISBN 9782843048173
Prix 9,95 €

L'avis de Cathie L.

Le rouge vif de la rhubarbe, Upphækkuð jörð en version originale publiée en 1998, superbement traduit par Catherine Eyjólfsson, a été publié par les éditions Zulma en 2016. C’est le premier roman de l’auteur islandaise. Il est raconté à la troisième personne au présent, imprimant un rythme volontairement lent, celui des saisons et de leurs occupations respectives, comme la confection de la confiture de rhubarbe et du boudin de mouton. D’un coup de plume magique, Auður Ava Ólafsdóttir nous transporte dans un monde fait de simplicité et de naturel, loin d’une société de consommation surfaite.

Comme dans ses romans suivants, fantaisie et humour y sont à l’honneur, par exemple dans ce passage à propos des répétitions de la nouvelle pièce de théâtre écrite par le « poète du village », dont la première avait « été d’abord été reportée de cinq semaines, puis de trois autres en raison des occupations séculières des acteurs de la société de théâtre amateur (…) Ce qui comptait le plus était de savoir combien de temps le patron de la supérette -l’acteur principal- serait occupé au magasin tard le soir, à faire sa caisse. » (Page 119).

Le style est fluide et très agréable, poétique parfois: constructions de phrases et vocabulaire aussi simples que la vie de ce village islandais, toutefois empreints de musicalité : « Depuis son lit dans la chambre haut perchée, on ne voit plus la terre, comme si la tour flottait sur la mer. » (Page 12)… et de sensualité :  « …puis s’inclinait avec lenteur dans les sombres profondeurs de la forêt de rhubarbe, entre les tiges roides, tandis que les feuilles aux veines enflées se rapprochent au-dessus de sa tête, réduisant le ciel à une rayure de blanc laiteux, jusqu’à exclure le monde extérieur. » (Page 14).

L’intrigue

Agustina, jeune fille handicapée, ne se déplaçant qu’à l’aide de cannes, envoie une bouteille à la mer. Son ambition dans la vie: comprendre qui elle est, pourquoi elle a été conçue dans le champ de rhubarbe du village. Aucune révolte quant à son handicap; elle veut juste comprendre et apprendre à mieux se connaître. Mais « incapable de se distancier suffisamment des choses », s’attachant trop aux détails, il lui fallait une vue d’ensemble.

Elle nourrit alors un rêve ambitieux: au printemps prochain, grimper en haut de la Montagne : « …monter vraiment très haut, bien plus haut que la chambre de la tour. Le point culminant de la contrée se dressait précisément à huit cent quarante-quatre mètres d’altitude au-dessus de la plage de sable noir. Il ne venait à l’idée de personne de se hisser là-haut… » (Pages 35-36)… Agustina, du haut de ses quatorze printemps, donne ainsi une belle leçon de vie, sans amertume ni rancœur : on ne mesure pas la chance que l’on a de posséder deux jambes qui fonctionnent normalement.

…Loin des préoccupations terre à terre des villageois dont la vie s’organise autour de la longueur des nuits et des jours, de leurs plants de rhubarbe… Loin également de sa mère partie à l’autre bout du monde étudier les oiseaux mais qui ne manque jamais de lui envoyer des missives pleines de désinvolte tendresse.

La vie du village

Le rouge vif de la rhubarbe nous offre un beau voyage hors temps, où rien ne peut être plus important que la confection de confitures de rhubarbe que les femmes se partagent et les représentations théâtrales organisées par la troupe d’amateurs, raconté dans ce style inimitable plein de légèreté et de profondeur : « Chez des voisins, d’abord au numéro cinq de la rue, Nina, Vermundur et Agustina participèrent à la confection du boudin. Puis seulement elles deux au numéro sept. Et de nouveau tous les trois au numéro neuf où les habitants voulaient garnir leur farce de raisins secs, ce qui obligeait à mesurer les ingrédients dans deux bassines différentes. » (Page 54).

Le quotidien du village suit une cadence ancrée dans une autre réalité que celle de la vie moderne. Non que les habitants se désintéressent de la destinée de leur pays, mais leurs préoccupations sont recentrées autour de valeurs plus importantes à leurs yeux: pourquoi perdre du temps et de l’énergie à accumuler des biens qui finalement ne sont pas si nécessaires que cela. Ainsi, le tapissier-matelassier, qui est également l’agent de police du village, occupe ses longues périodes d’oisiveté à empailler les oiseaux protégés et toutes sortes d’autres animaux.

L’ophtalmo, qui vient deux fois par an, s’installe à l’étage de la bibliothèque.

Le jeudi soir, c’est séance ciné au foyer rural. Le jour de la fête des marins pêcheurs, l’église, l’école et la banque, les trois édifices les plus importants du village (religion, éducation, argent) pavoisent et la plupart des bateaux sont à quai.

…Et bien sûr, la confiture de rhubarbe pour la confection de laquelle Audur Ava Olafsdottir nous donne astuces et secrets avec beaucoup de naturel: « Pour huit kilos de rhubarbe, il en fallait autant de sucre. Cette proportion pouvait toutefois varier d’une ménagère à l’autre. Sucre, cuisson, calibre et taille des morceaux, texture, couleur tout dépendait de l’imagination, du caractère et du temps disponible de chacune. » (Page 19)…Et la confiture devient un art…

Les personnages

Tous les personnages de ce roman, même les plus fantasques, sont épris de liberté, de leur liberté d’être eux-mêmes sans s’occuper des pensées ou des regards des autres. On ne se juge pas; on se prend tel que l’on est, c’est aussi simple que cela. A noter que l’auteure s’attache plus à décrire la fonction et le caractère de chacun plutôt que son apparence physique, qui finalement ne devrait pas être aussi importante que cela…

Autre personnage omniprésent, duquel on est obligé de s’accommoder, dont on ne peut ignorer l’existence: le climat.

Dans un pays où, la moitié de l’année, les nuits sont bien plus longues que les jours, la perception du monde environnant s’en trouve changée. Dans Le rouge vif de la rhubarbe, nous effectuons un voyage très dépaysant : « Pas un signe de lueur du jour dans ces ténèbres hivernales. Elle se réveille dans le noir, clopine jusqu’à l’école dans le noir, enfile la rue, penchée en avant entre les congères grises et brunes, avec partout la menace des glaçons qui pendent du rebord des toits. Pas de couleurs dans la nature, pas d’odeurs, aucune proximité ni distance.

Et tout à coup, quand le printemps apparaît, « il n’y a plus de nuit où s’enrouler, où s’abriter dans la tour. Un vent glacial souffle du  nord, le ciel bleu est ouvert et vaste comme la mer…Elle ne peut plus s’échapper au réveil à l’aube, ni au sommeil à la lueur du jour ; et la clarté blanche et froide va s’amplifier de jour en jour sans qu’on puisse rien y faire, se faufilant par le fente des rideaux, sous les couettes, dans les coins et recoins obscurs jusqu’à ce qu’elle trouve à se réfugier durablement sous les paupières, aux alentours de l’Ascension. » (Page 131).

Les lieux

Les endroits principaux de cette histoire se résument à la maison de Nina, située « dans la rue la plus haute du village », maison de couleur rose saumon avec une tour violette, une maison toute simple avec en bas, « le salon, la cuisine et la chambre de Nina. La chambre d’ Agustina se situe dans la tour (…) afin de bénéficier d’une vue tous azimuts. » (Page 11)

…La Montagne qu’ Agustina rêve d’escalader, et le jardin de rhubarbe, « au flanc de la Montagne, à un emplacement défiant l’entendement (…) un carré bien net de tiges d’un rouge éclatant coiffées de vert, dont nul ne connaît l’origine et que personne ne se soucie de cultiver. » (Page 13).

Mon avis

Le rouge vif de la rhubarbe, un très beau roman-poème que nous propose Auður Ava Ólafsdóttir avec Le rouge vif de la rhubarbe. Un hymne à une vie plus proche de la nature, loin des préoccupations futiles de la société moderne, où solidarité et respect de l’autre remplace indifférence et agressivité. Une belle leçon de vie que le courage de cette jeune fille handicapée qui ne se laisse pas abattre, qui réalise sa quête de soi sans s’encombrer inutilement, cherchant à se dépasser, dans cette symbolique de la montagne non pour dominer mais prendre du recul.

On se laisse glisser dans cette histoire avec autant de délice que dans un bain de jouvence. Laissons-nous emporter par son rythme lent et sa fantaisie, par son atmosphère d’authenticité proche de la nature et le respect des traditions d’une vie simplifiée et pleine de sagesse.

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Cathie L.
Cathie L.http://legereimaginareperegrinareblog.wordpress.com
Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...
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