Auður Ava ÓLAFSDÓTTIR : Ör

Audur Ava OLAFSDOTTIR : Ör

Présentation Éditeur

Se décrivant lui-même comme un « homme de quarante-neuf ans, divorcé, hétérosexuel, sans envergure, qui n’a pas tenu dans ses bras de corps féminin nu – en tout cas pas délibérément – depuis huit ans et cinq mois », Jónas Ebeneser n’a qu’une passion : restaurer, retaper, réparer. Mais le bricoleur est en crise et la crise est profonde. Et guère de réconfort à attendre des trois Guðrún de sa vie – son ex-femme, sa fille, spécialiste de l’écosystème des océans, un joli accident de jeunesse, et sa propre mère, ancienne prof de maths à l’esprit égaré, collectionneuse des données chiffrées de toutes les guerres du monde…

Doit-il se faire tatouer une aile de rapace sur la poitrine ou carrément emprunter le fusil de chasse de son voisin pour en finir à la date de son choix ? Autant se mettre en route pour un voyage sans retour à destination d’un pays abîmé par la guerre, avec sa caisse à outils pour tout bagage et sa perceuse en bandoulière.

Ör est le roman poétique et profond, drôle, délicat, d’un homme qui s’en va, en quête de réparation.

Origine Islande
Titre Ör, 2016
Éditions Zulma
Date 5 octobre 2017
Éditions Zulma (poche)
Date 5 novembre 2020
Traduction Catherine Eyjólfsson
Pages 240
ISBN 9782843048067
Prix 19,00 €

L'avis de Cathie L.

Ör (mot signifiant « cicatrice » en islandais) en version originale éditée en 2016, traduit par Catherine Eyjolfsson, a été publié par les éditions Zulma en 2017. Il est le cinquième roman de l’auteure islandaise. Raconté à la première personne, il se compose de chapitres plus ou moins longs s’enchaînant au fil des pages sans autre transition que des titres souvent insolites, tel que « Le temps est plein de chats morts » ou que « Une cicatrice est une formation dermique anormale là où une plaie ou une lésion s’est refermée. »

Un rythme lent caractérisé par de nombreux passages introspectifs et de scènes minutieusement décrite : « Il enfile des maniques rouges, ouvre le four, tire avec précaution la grille et plonge le thermomètre à sonde dans le gâteau (…) Il verse de la crème dans un bol et branche le batteur. Il me tourne le dos, concentré sur sa tâche. Une fois la crème battue, il rince les pales et les met dans le lave-vaisselle. » (Page 40) => Comme si le temps avait suspendu son vol afin de s’attarder un infime instant sur la destinée de Jonas, un homme banal qui se rend compte qu’il s’est perdu, noyé dans tout ce qui n’est pas essentiel.

Le style est moins fantaisiste, plus dense, plus essentiel que les romans précédents, tendance sans doute justifiée par le thème grave développé par Ör : la vie/la mort, le souvenir que l’on laisse derrière soi : « Vers la fin de la semaine prochaine, le monde tournera sans moi? Que disent les prévisions météo dans ce monde sans moi ? » (Page 77) ; mais aussi la guerre dans ce qu’elle a de plus absolu, dans cette vision plus cruciale des priorités de survie : « Il devait faire un geste au moment de recevoir une balle. Nous avons rejoué la scène six fois avec des litres de faux sang. Le soir venu, on s’est bien amusés. Tout n’était que bluff alors. Et puis tout est devenu réel et le film ne voulait plus rien dire. » (Page 145).

L’intrigue

Jonas vit seul depuis qu’il s’est séparé de sa femme Gudrun, huit ans plus tôt. Son quotidien se résume à son travail, les irruptions de son voisin Svanur qui ne comprend pas sa femme Aurore, sa fille Nymphéa qui n’est pas sa fille, sa mère Gudrun placée en maison de retraite et son ex-femme Gudrun qui s’inquiète pour lui. Conscient de la vacuité de cette existence qui ne lui apporte plus rien, il décide de se supprimer. Mais comme il ne veut pas infliger la découverte de son cadavre à sa fille, il décide de partir dans un pays en guerre où les chances de disparaître de la surface de la terre sans laisser de trace sont plus probables.

Une fois ses affaires en ordre, il quitte l’Islande avec pour tout bagage une petite caisse à outils et sa perceuse. Arrivé dans le pays qu’il a choisi, il s’installe dans un hôtel qui vient juste de rouvrir ses portes à la faveur d’un armistice signé entre les belligérants depuis peu. Entre ses souvenirs mêlés à des questions existentielles et ses errances dans une ville profondément marquée par les stigmates de la guerre, Jonas prend conscience de la non-légitimité de ses états d’âme comparé à ces gens pour qui chaque jour écoulé est une victoire sur la mort. Sa vison des choses va alors changer du tout au tout.

Les personnages

Des portraits esquissés finement, comme dans une aquarelle aux couleurs un peu passées, des personnages en quête de leur vérité dans un monde qu’il ne comprennent pas toujours. Le choix de prénoms identiques pour les trois générations de femmes qui gravitent autour de Jonas symbolise l’impression d’enfermement qu’il ressent, justifiant son besoin d’évasion, de quête de soi…

• Jonas Ebeneser : narrateur ; un frère, divorcé, une fille de 25 ans ; a fait une année d’études philosophiques avant de reprendre l’entreprise familiale ; a encore tous ses cheveux coiffés en brosse.
• Gudrun Stella Jonasdottir Snaeland : mère de Jonas, ancien professeur de mathématiques et organiste ; vit en maison de retraite ; lui rend visite une fois par semaine.
• Gudrun : ex-femme de Jonas ; cheveux roux, teint rosé, taches de rousseur.
• Gudrun Nymphéa : fille de Jonas ; célibataire ; spécialiste en biologie marine.
• Svanur : voisin de Jonas; mécanicien ; porte des lunettes à verres épais ; ses deux sujets de préoccupation sont les véhicules à moteur et la condition des femmes dans le monde.
• Fifi : gérant de l’hôtel ; jeune homme d’une vingtaine d’années ; parle très bien anglais.
• May : soeur de Fifi avec lequel elle gère l’hôtel qui appartient à leur tante partie en exil ; veuve, un enfant.
• Adam : fils de May.

Les lieux

L’hôtel où Jonas s’est réfugié pour se suicider est situé dans un pays en guerre dont le nom n’est pas révélé, anonymat attestant que la situation de pays dévasté par la guerre n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Il est touchant de voir combien les deux jeunes gens qui gèrent l’hôtel, malgré leurs blessures et leurs souffrances, concentrent tous leurs efforts à tenter de se reconstruire une existence qui ait à nouveau un sens: Fifi restaure les mosaïques de la cave; May entreprend avec l’aide de Jonas de menues réparations en vue d’une éventuelle future saison touristique. L’hôtel Silence, ancienne destination touristique appréciée pour ses sites archéologiques et ses bains de boue réputés, est situé au bord de la mer, à une heure de route de l’aéroport.

En conclusion

Un peu déstabilisée par le style moins fantaisiste de ce cinquième roman, Ör, j’ai éprouvé quelques difficultés à pénétrer dans cette histoire, mais au final j’ai été bouleversée par ce récit pudique et profond qui a le mérite de faire réfléchir sur la valeur que l’on donne à la vie humaine avec beaucoup de délicatesse non dénuée de poésie. Comme à son habitude, Auður Ava Ólafsdóttir nous propose avec Ör un très beau moment de lecture.

Cathie L.
Cathie L.http://legereimaginareperegrinareblog.wordpress.com
Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...
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