INFOS ÉDITEUR
Parution aux éditions Phébus en avril 2011 Parution aux éditions J’ai Lu en septembre 2012 Traduit du suédois par Anne Karila « La sœur de Marjorie disparut un vendredi, début mai. » Ce jour-là, Miriam n’est pas rentrée de l’école, mais on l’a vue marcher, là-bas, du côté de la colline… Si ses parents sont angoissés, Marjorie, elle, semble hors d’atteinte, indifférente, insondable. Ou… peut-être se réjouit-elle un peu, un tout petit peu de cette disparition car, après tout, il y avait parfois des jours où elle ne l’aimait pas trop, sa grande sœur Miriam… Alors, pour l’éloigner d’une ambiance saturée de désespoir, sa tante Ilse l’héberge. Et, de jour en jour, tente de l’aider à voir un peu plus clair en elle, à distinguer l’amour de la haine, la jalousie de la générosité, l’aveuglement de la lucidité. En somme, elle apprend à Marjorie à grandir et à assumer ses contradictions. Véritable tour de force, Syster restitue à la perfection le regard multiple, voire parcellaire, que tout être pose sur ses proches, sur les paysages et sur le monde. (Source : Phébus – Pages : 304 – ISBN : 978275290501-7 – Prix : 21,30 €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
Bengt Ohlsson, né le 6 septembre 1963 à Ostersund, est un dramaturge et écrivain suédois. Dans ses romans, Bengt Ohlsson s’attache à explorer les côtés les plus sombres de la psyché humaine. Outre ses romans, il rédige également des chroniques humoristiques dans lesquelles il aborde des questions sociales de la vie quotidienne. Les meilleures d’entre elles ont été réunis dans deux recueils parus en 1996 et en 2005.
Le roman
Syster, Syster en version originale parue en 2009, a été traduit par Anna Karila et publié en 2011 par les éditions Phébus dans la collection « Littérature étrangère ». Le récit est raconté à la 3e personne du point de vue de Marjorie, petite fille d’une dizaine d’années, instaurant une certaine distance, comme si la jeune fille n’était qu’une spectatrice de sa propre histoire. Ce qui rend le récit plus léger, moins dramatique. Elle se contente souvent de dire ce qu’elle voit, ce qu’elle pense :
« Puis son regard se posa sur les talons de tante Ilse, devant elle, et sur ses bottes en caoutchouc qui barbotaient dans la boue, sur l’herbe qui effleurait ses jambes. Marjorie se rendit compte que tante Ilse n’était pas une étrangère ici, qu’elle était déjà venue des centaines de fois, et elle sentit soudain au plus profond de son âme que tante Ilse lui avait demandé de venir avec elle en promenade pour lui montrer quelque chose de joli. » (Page 28).
Le style est précis, méticuleux : tout est décrit et raconté dans les moindres détails, comme dans un scénario de film, comme dans la tête d’un enfant :
« Ils tournèrent à gauche et montèrent une côte. Passèrent un portail. La voiture se mit à cahoter. Marjorie aperçut un écureuil qui filait entre les broussailles (…) Ils ouvrirent les portières, descendirent sur le gravier. Marjorie s’enfonça presque jusqu’aux chevilles. » (Pages 12-13).
Thèmes : les relations complexes au sein d’un fratrie, ici entre deux sœurs :
« Dans ses rêveries, Marjorie s’était parfois imaginé qu’elle avait une grande sœur atteinte d’un handicap physique, quelqu’un qui serait dans un fauteuil roulant, baverait et aurait les doigts tordus, comme la fille à l’école. Une grande sœur qui aurait eu un accident, un malheur dont on pourrait la plaindre, ou bien un défaut congénital auquel ni elle ni personne, d’ailleurs, ne pouvait rien. Au lieu de cela, Marjorie était dotée d’une grande sœur en parfaite santé, qui avait de bonnes notes et qui jouait dans l’équipe de hand-ball de l’école. Qui n’avait pas de défaut… » (Page 18).
Le monde de l’enfance confronté à la réalité des adultes; comment ses deux mondes cohabitent sans vraiment se confondre. La jeune fille observe ceux avec qui elle vit, en l’occurrence ses parents puis sa tante, un peu comme un entomologiste observe des insectes, puis décrit ce qu’elle voit : « Papa, maman et tante Ilse parlaient avec des voix sérieuses et de temps en temps, ils regardaient Marjorie. Elle-même les observait tout à tout, et son regard s’attardait sur celui qui était en train de parler. » (Pages 13- 14).
L’intrigue
Deux semaines après la mystérieuse disparition de Miriam, sa petite sœur, Marjorie, est envoyée chez leur tante paternelle, Ilse, qui vit dans une petite maison au bord de la mer. Ses parents, persuadés qu’elle est accablée de chagrin, pensent que ce séjour loin de l’atmosphère lugubre et désespérée de leur foyer, lui fera le plus grand bien. Ils sont bien loin de soupçonner qu’en réalité, la disparition de sa grande sœur laisse Marjorie indifférente. Il se pourrait même qu’elle s’en réjouisse un peu. Elle a le sentiment qu’elle va enfin pouvoir trouver sa juste place, enfin débarrassée de l’ombre envahissante de Miriam, tellement plus intéressante, intelligente qu’elle. « (…) elle était contente que Miriam ait disparu et souhaitait qu’elle ne revienne jamais. Miriam perturbait la vie de toute la famille. Aussi loin que Marjorie se souvienne, elle gâchait tout, et sa disparition les avait couverts d’une telle honte que le préjudice ne pourrait jamais être réparé. » (Page 17).
Au fil des jours et des semaines passées dans la maison de campagne de sa tante, des longues conversations et des promenades dans la nature sauvage, Marjorie va néanmoins apprendre se connaître, à décrypter ses émotions, petit à petit à apprivoiser le monde qui l’entoure, l’environnement dans lequel elle grandit. Syster est un beau roman d’initiation.
Les personnages
Les personnages peu nombreux de ce roman sont très peu décrits, au physique comme au moral. Perçus à travers le regard d’une fillette de dix ans qui n’attache pas d’importance aux même détails que les adultes, accentuant par là la distance palpable entre les deux mondes.
- Miriam : petite fille disparue, sœur de Marjorie ; visage dur, sans expression.
- Marjorie : petite sœur de Miriam.
- Ilse : tante paternelle des deux fillettes ; vit seule dans une maison au bord de la mer.
- Le père : aime raconter des histoires ; il ne s’énerve jamais et garde toujours l’esprit clair ; homme très respecté.
- La mère : douce et maternelle, parfois un peu distante.
Les lieux
La maison de tante Ilse dans laquelle Marjorie va vivre un certain temps, est, par conséquent, le seul endroit bénéficiant d’une description plus complète. Elle ressemble à une maison de conte de fées, fidèle à la vision et au ressenti qu’une enfant peut en avoir, s’attardant sur des détails parfois insignifiants, parfois insolites.
« La maison de tante Ilse paraissait abandonnée. Elle était poussiéreuse, couleur blanc sale, et comportait deux niveaux garnis de fenêtres lugubres. Sous le toit se trouvaient plusieurs petites lucarnes rondes… Ils gravirent les marches, l’escalier était sec et chaud, comme la peau d’un éléphant. » (Page 13).
« Dans la bibliothèque, il y avait un canapé rouge sombre recouvert d’innombrables épaisseurs de plaids et de carrés de tissus. Sur un bureau étaient posées de petites photographies pâlies; la plupart représentaient des enfants. Ils portaient des bonnets à pompons, souriaient timidement, et dans le fond, on voyait de la neige… Une grande table recouverte d’une nappe verte, six chaises, des chandeliers sales, striés de vieilles coulures de bougie. Par-delà la fenêtre, une pelouse et une forêt de troncs tachetés de gris. » (Pages 15-16).
Mon avis
Syster est un roman construit un peu comme un conte de fées: un élément déclencheur: la disparition de la grande soeur; le personnage principal: une petite fille ; sa quête personnelle sous forme de parcours initiatique : promenades seules dans la nature, découverte des pièces de la maison, notamment le sous-sol; un endroit un peu insolite, isolé et comme figé dans le passé, rempli de vieilleries : la maison de la tante; la bonne fée, dispensant conseils et recommandations : tante Ilse.
Le style un peu désuet, le ton grave font tout le charme de ce roman poétique, mélancolique et très agréable à lire. Je vous garantis que vous passerez un bon moment, le visage fouetté par le vent du large et la pluie, les hautes herbes caressant nos jambes, nos yeux se plissant à la lumière dorée du couchant, main dans la main avec cette petite fille déconcertante mais attachante, avec laquelle on aura plaisir à découvrir ce monde déroutant et à la fois fascinant dans lequel les adultes, ces drôles de personnages, évoluent.
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