- Éditions Gaïa en janvier 2019
- Traduit par Frédéric FOURREAU
- Pages : 432
- ISBN : 9782847208931
- Prix : 23,00 €
PRÉSENTATION ÉDITEUR
Juste avant la chute du Mur, un officier de renseignement danois est exfiltré de RDA. Puis disparaît et refait sa vie en Russie. Sa fille Laila a grandi dans la honte de cette trahison. Adulte, elle renonce à une carrière d’officier interprète après deux missions traumatisantes en Irak et s’occupe d’un camping au Danemark. Lorsqu’elle reçoit la visite de deux ex-agents, décidés à reprendre du service, et qui ont besoin d’elle. La fille du traître.
Un drame passionnant sur la loyauté et les tensions politiques actuelles entre la Russie, l’Ukraine, les pays baltes et l’Occident. Et si la Troisième Guerre Mondiale n’était pas un fantasme ?
NOTRE AVIS
La fille du traître, Djaevellen i Hullet en version originale parue en 2016, a été publié par les éditions Gaïa début 2019. Le style est fluide, plus travaillé que lors de ses premiers écrits dont l’écriture portait plus son empreinte de journaliste. Le ton est désabusé : « Quand elle regardait dans leurs yeux marron pleins de vie un matin comme celui-ci, elle pouvait se mettre à pleurer en pensant à ce qu’ils pourraient devenir si personne ne les prenait par la main. » (Page 60).
A part le prologue, le rythme très lent se déroule au fil d’un récit fourmillant de détails, où l’on reconnaît la patte de journaliste de l’auteur : « C’était une neige gelée et dure qui mordait les joues. Il enfonça son bonnet de ski blanc sur son front et s’agenouilla, prêt à faire feu, derrière un des cygnes en pierre noirs qui bordaient les étangs devant le palais. Il avait la vue dégagée sur la route qui menait à l’entré principale de la résidence. » (Page 31)… « Dietmar tenait sa tasse en l’aire, face à lui, comme si elle avait une valeur particulière, alors que Laila l’avait achetée avec cinq autres au supermarché du coin. Il but une autre gorgée et reposa sa tasse à moitié vide devant lui sur la table, avec un léger bruit clair. Par la fenêtre ouverte, on pouvait entendre les mouettes et le grondement saccadé d’une yole à moteur. » (Page 74).
Ainsi, l’intrigue se met en place très lentement par une succession de tableaux, un peu comme lorsqu’on rassemble les pièces d’un puzzle par couleurs ou par motifs, au rythme de longs chapitres dans lesquels il ne se passe pas grand chose. Cela dit, la façon dont Leif Davidsen raconte cette histoire d’espionnage est captivante.
Thèmes: le poids des fautes passées, le pardon, la rédemption, mais aussi les conséquences de la chute du communisme, le capitalisme, l’exploitation de la misère humaine.
L’intrigue
2014. Le président ukrainien s’apprête à quitter le pays, sans un regard pour son peuple déchiré par un conflit qui le dépasse.
Laila, jeune danoise propriétaire d’un modeste camping dans une station balnéaire du nord de l’île de Fionie, traumatisée par l’abandon de son père vingt ans plus tôt, reçoit la visite de Torsten et de Dietmar, deux hommes qui ont bien connu son père du temps où ils travaillaient pour les services secrets danois et allemand. Que lui veulent-ils ?
Confrontés aux bouleversements qui redessinent la carte de l’Europe, les deux ex-agents reprennent du service pour une mission bien particulière: retrouver le père de Laila, ancien agent danois qui a trahi son pays en passant à l’est. La jeune femme, d’abord réticente, finit par accepter. Commence alors une formation qui la conduira en territoire ennemi, à Ples, petite ville russe où son père a pris sa retraite. Laila devra agir seule.
Connaît-elle le véritable objectif de sa mission ? Les deux anciens espions lui ont-ils tout dit ou la manipulent-ils dans un but non avouable ? Laila, avide de vengeance, n’en a cure et saisi l’occasion de faire enfin payer à son père les années de rancœur qu’elle a vécues après sa trahison.
Pendant ce temps, à Ples, le commandant Cherskov demande à John de reprendre du service afin d’identifier les fomenteurs d’un coup d’état en vue de renverser l’actuel président dont la politique compromet leurs activités commerciales. Trahira-t-il son pays et sa famille une seconde fois ?
Contexte
Leif Davidsen est un fin connaisseur de la Russie pendant et après la Guerre Froide. Mettant à profit son immense expérience du monde et de la civilisation slaves, ses nombreuses allusions à l’histoire contemporaine et au contexte politique de l’URSS puis de la Russie moderne, donnent tout son souffle à La Fille du Traître :
« Avec les sanctions économiques contre la Russie et le boycott suicidaire du pays à l’encontre des produits alimentaires occidentaux, peu de touristes avaient envie de se rendre à Moscou en ce début décembre. Et les hommes d’affaires n’avaient plus vraiment de raisons d’y aller non plus. » (Page 156).
Un pays en déroute :
« Elle avait du mal à se figurer qu’elle se trouvait dans un pays en proie à une profonde crise économique et dirigé par un président autoritaire qui, par sa politique, avait entraîné son peuple dans une confrontation grave et très risquée avec le monde auquel elle appartenait… Ici, au Bolchoï, on aurait dit que personne n’avait conscience de la catastrophe qui les guettait. » (Page 340).
La Russie moderne, finalement guère différente de l’URSS communiste :
« Les discussions étaient certes vives, mais teintées de cette prudence qui lui rappelait l’époque soviétique. Il y avait de nouveau des codes à connaître. Certaines formulations étaient nécessaires, d’autres désapprouvées, voire interdites. Encore une fois, il se mit à regretter les folles années 1990 de cet ivrogne d’Eltsine, qui avait instauré un débat ouvert, libre et fantastique. La Russie était alors …un phénix libéré qui allait renaître des cendres du totalitarisme et déployer ses ailes…Mais ce n’était plus le cas. L’oiseau s’était révélé être un dragon, et des œufs qu’il avait pondus avaient surgi le glaive et la croix qui, une fois de plus, menaçaient de plonger la Russie dans les ténèbres. » (Page 137)
En conclusion
Le + : un des atouts de Leif Davidsen, fin observateur politique et social, est que sa connaissance du monde russe a évolué en même temps que celui-ci s’est transformé, passant de la Guerre Froide à la Pérestroïka, du capitalisme effréné au significatif retour en arrière opéré depuis l’avènement de Poutine. L’ancien journaliste ne se contente pas de raconter la Russie d’aujourd’hui. Il nous livre une fine analyse de la situation socio-politique actuelle grâce à laquelle le lecteur, tout en se divertissant, pénètre plus avant dans ce monde russe peu ou mal connu : « Les investissements sont inexistants. Le chômage ne cesse d’augmenter, tandis que les talents désertent le pays. Nous avons des infrastructures dignes d’un pays du tiers-monde. Les élites quittent le navire en perdition. » (Page 272).
Vous l’aurez compris, La Fille du traître propose une analyse avisée et complète de la Russie moderne, aussi bien sur un plan national qu’international. Mais, afin de lui donner plus d’épaisseur et de compléter le tableau en toute objectivité, il met en parallèle le Danemark d’aujourd’hui par de nombreuses allusions évoquant l’état d’esprit, le comportement, la vision des choses, l’attitude politique et sociale de ses compatriotes.
La Fille du Traître, sous ses apparences de leçon d’histoire politique russe et européenne, n’en est pas moins un roman passionnant et pas du tout ennuyeux que je vous recommande.