Maja THRANE : Petit traité de taxidermie

Maja THRANE : Petit traité de taxidermie

Présentation Éditeur

» La première nuit, ils entendirent gronder les entrailles de la maison. »
Un court et dense roman à la frontière entre prose et poésie, librement inspiré de la vie du zoologiste August Wilhelm Malm (1821-1882).

Björn et Vera, un couple de néoruraux, nous font pénétrer les secrets d’une maison perdue au fond de la campagne, qui abrita les recherches d’un intendant taxidermiste du Muséum d’histoire naturelle de Göteborg. Au fil de courts chapitres, Maja Thrane entrelace l’histoire de ces jeunes occupants avec des évocations du passé, centrées sur la figure du taxidermiste. La vie d’aujourd’hui, rythmée par les lectures, les promenades et les visites d’amis citadins qui viennent panser leurs blessures affectives ou physiques, s’entremêle à celle de l’intendant, objet de notations savoureuses en même temps qu’émouvantes.

Dans ce court mais dense roman à la frontière entre prose et poésie, librement inspiré de la vie du zoologiste August Wilhelm Malm (1821-1882), Maja Thrane mélange avec un regard à la fois amusé et inquiet les concepts de la science avec la magie, le prosaïsme de la vie à la campagne et l’étrangeté de personnages du passé qui s’invitent dans le présent. Méditation sur la fugacité de la vie, la permanence de la mort et la prétention de l’homme à régner sur la nature, ce texte pose la question de notre postérité : quelle image offrirons-nous à nos lointains descendants, quand la seule chose que nous laisserons derrière nous, ce sont des écosystèmes en chaos ?

Origine Suède
Éditions Agullo
Date 20 janvier 2022
Traduction Marie-Hélène Archambeaud
Pages 115
ISBN 9782382460115
Prix 12,90 €

L'avis de Sophie Peugnez

L’appel de la maison et de la nature

« Sans l’avoir encore jamais vue, ils la reconnurent tout de suite. Oubliée, oublieuse, elle aurait pu rester ensevelie dans sa torpeur s’ils ne s’étaient pas égarés en forêt, s’ils n’avaient pas échoué sur ce chemin caillouteux qui ne menait nulle part ailleurs qu’ici. La maison avait sommeillé jusqu’au jour où, franchissant la crête, ils virent qu’ils lui appartenaient, réveillés la réveillèrent. Pas au point de l’appeler mère, mais elle devint leur maison ».

Vera et Björn ont rencontré LA maison. Elle leur était destinée, ils devaient devenir ses passagers. Car ce vaisseau de pierre avait déjà accueilli d’autres voyageurs même une baleine (ô mystérieuse Balaenoptera Carolinae). Au fil des travaux, les strates de la maison apparaissent laissant les temps anciens se dévoiler de manière pudique. Danse des 7 voiles faite de papiers peints. La maison est magnétique, elle est le cocoon qui a su accueillir Sten Andersson puis l’intendant, la famille Oscarsson, Bengt et Berit Eriksson. La maison porte encore en elle l’empreinte noircie de son premier habitant. Leur relation a commencé en 1840.

Vera et Björn l’apprivoisent. Björn se plait à écrire son livre de bord : les animaux, les fruits, la vie qui s’écoule. Chaque jour est une forme de voyage, un hymne à la découverte. Le drap est tendu avec l’ami Jens, les insectes et les papillons iront de la toile à l’épingle. Les gestes sont séculaires. Une partition silencieuse fait vibrer la maison, les doigts de Björn reproduisent ceux du taxidermiste. Le fantôme de la dame en vert hante les pages, sa robe tournoie, danse magique ou fin de bal tragique ?

« L’agonie appartient au mourant mais la mort appartient aux vivants, c’est pourquoi on parle de Survivants. »

« Petit traité de taxidermie » de la suédoise Maja Thrane, publié aux éditions Agullo et traduit par Marie-Hélène Archambeaud est un texte surprenant et envoûtant. Les mots et les phrases sont posés sur les pages comme dans un herbier (ou un vieil ouvrage d’entomologie) parfois courts, parfois ils déploient leurs ailes sur plusieurs pages. L’ouvrage m’a évoqué un tableau un liège élégant où des photos sont épinglées comme des papillons. Photos dentelées, en noir et blanc, d’autres couleur sépia, polaroids pour fixer le temps présent (mais avec un goût pour les objets rétros). L’écriture est fragmentée. Ce texte est en prose mais proche de la poésie. Il donne envie envie de le déclamer à voix haute ou de le jouer comme une pièce de théâtre. C’est pour cela que je vous ai mis en début de la chroniques les premiers mots du texte. La maison voulait se faire belle pour vous aussi, sans le savoir vous étiez déjà pris dans ses filets.

Il y a à la fois un aspect ludique dans ce texte avec les personnages qui semblent être de jolies marionnettes avec une maison qui a pris le pouvoir, démiurge de son petit monde. L’instant d’après l’humain reprend le pouvoir, transforme l’habitat, le rénove. Et en même des drames se sont joués dans ces lieux. Petit traité de taxidermie, récit très actuel sur notre rapport à la nature, à la fois sur ces jeunes couples qui veulent retrouver des lieux anciens, y vivre pratiquement en autarcie, et c’est aussi cet écosystème beau et fragile. Certaines espèces épinglées n’appartient-elles pas déjà seulement au passé.

Carnet de réflexion, carnet de transmission. Les éditions Agullo nous le proposent dans le format Agullo Court, le livre est lui-même un très objet agréable à prendre en main ornée d’une superbe couverture qui donne envie de se retourner et de le tendre à son voisin, à son prochain…

J’écris cette chronique en écoutant la musique d’Agnès Obel et je retrouve la même magie que le texte : un sentiment d’être hors du temps, hors de l’espace. J’ai croisé la route d’une baleine et mon esprit est parti en voyage…

« Ce récit est librement inspiré de la vie et de l’oeuvre du zoologiste August Wihelm Malm ».

Sophie PEUGNEZ
Sophie PEUGNEZ
Co-fondatrice de Zonelivre.fr. Sophie PEUGNEZ est libraire, chroniqueuse littéraire pour le journal "Coté Caen" et modératrice de débat.
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