Ragnar JÓNASSON : Enquêtes de Siglufjördur – 01 – Snjór

Snjór, un huis-clos à l’anglaise dans le plus grandiose des décors scandinaves. Ragnar Jonasson, la nouvelle révélation du polar islandais.

Ragnar JONASSON- Snjor

Présentation Éditeur

Siglufjördur, ville perdue au nord de l’Islande, où il neige sans discontinuer et où il ne se passe jamais rien. Ari Thór, qui vient de terminer l’école de police à Reykjavik, y est envoyé pour sa première affectation. Mais voilà qu’un vieil écrivain fait une chute mortelle dans un théâtre et que le corps d’une femme est retrouvé, à moitié nu, dans la neige. Pour résoudre l’enquête, Ari Thór devra démêler les mensonges et les secrets de cette petite communauté à l’apparence si tranquille.

Origine Islande
Éditions La Martinière
Date 12 mai 2016
Éditions Points
Date 9 mars 2017, 4 juin 2020
Traduction Philippe REILLY
Pages 360
ISBN 9782757863787
Prix 7,60 €

L'avis de Sophie PEUGNEZ

Reykjavik printemps 2008, Ari Thor Arason savoure que sa petite amie se soit enfin installée avec lui. Même si elle a souvent la tête dans ses livres en vue des examens pour devenir médecin, il aime les moments passés avec elle. Et il est bien placé pour la comprendre, lui qui est un tout jeune flic. Même s’il a un parcours atypique, il a effet d’abord étudié la philosophie puis la théologie.

Le lien qui les unit va être mis à rude épreuve à cause e d’un simple coup de fil. On propose à Ari un poste, il n’ose refuser et s’engage sans consulter celle avec qui il vit espérant qu’elle le suivra dans le nord. Lui n’ayant lui aucune attache, ses parents étant décédés.

C’est la véritable douche froide. Elle ne le comprend plus et l’arrivée à Siglufjördur ne va pas être simple à vivre. Lui qui rêvait d’action, apprend qu’il ne se passe rien. Que la population a coutume de passer au commissariat pour se faire payer un café. Ils semblent être les garants du bien être et il n’y a jamais aucun événement grave.

Ari est persévérant et curieux. Lorsqu’une femme va mettre fin à ses jours, il va vouloir creuser la piste même si sa hiérarchie lui interdit. Il poursuit dans cette direction, quitte à voir sa carrière voler en éclat. Alors qu’il lui a certainement sacrifié sa belle histoire de couple.

La chute d’un ancien grand auteur et membre de la troupe de théâtre locale va titiller son instinct. Il est bien placé pour mener ses investigations car sa troublante professeur de piano fait partie de la compagnie. Mais celui que tout le monde surnomme « le Pasteur » (vive les surnoms dans les petites villes) arrive-t-il à avoir un regard encore impartial.

J’ai vraiment aimé découvrir l’univers de Ragnar JÓNASSON. Son personnage Ari a un côté un peu gauche, presque naïf, il bouillonne de l’envie de vivre d’aller de l’avant et en même temps il a un tel besoin d’aimer et de se sentir aimer. Le travail sur les personnages est très important dans ce roman. Ragnar JÓNASSON a traduit des auteurs comme P.D James de l’anglais vers l’islandais, cela l’a peut-être inspiré dans une partie de son travail. Il y a un aspect Wodunit. Une galerie de portraits, on a certainement croisé le coupable car il ne faut se fier aux apparences. C’est « très frais », limpide à lire.

Les lieux, nous les découvrons via Ugla qui a fuit un passé trop lourd et les on-dit. Elle croise la route d’Hrolfur, ce grand écrivain qui nous fait penser à des grands noms de la littérature islandaise qui savent manier avec talent des textes en prose nimbés de poésie.

Et au-delà de l’enquête policière c’est une peinture très intéressante de l’Islande. On perçoit très nettement les différences entre une ville comme Reykjavik qui a l’air moderne, active. Et un lieu comme Siglufjördur où les choses paraissent tourner comme dans le passé. Il suffit d’une grosse tempête de neige pour bloquer l’accès important de la ville (créant une forme de claustrophobie chez Ari).

Le paysage est un personnage du roman. La ville a ses codes qui lui sont propres et notre pauvre Ari réussirat-il à s’intégrer ce n’est pas gagné. C’est aussi un état des lieux des difficultés économiques de l’Islande. Des lieux où la pêche était une source fleurissante de revenus sont maintenant démunis et ont du mal à faire face.

A refermant Snjór, j’ai eu le sentiment d’en savoir un peu plus sur la vie des habitants de ce pays et j’ai passé un excellent moment.

L'avis de Cathie L.

Ragnar JÓNASSON est un écrivain islandais né en 1976 à Reykjavik, auteur de romans policiers. Avocat, il enseigne le droit à l’université de sa ville natale. Il est également traducteur de quatorze romans d’Agatha Christie en islandais.

Découvert par l’agent d’Henning Mankell, il inaugure, en 2009, la série Dark Iceland consacrée aux enquêtes menées par le jeune policier Ari thor avec un premier roman intitulé Fölsk nóta, non traduit à ce jour. S’ensuivent six autres romans dont le dernier a été publié en 2020.

Pour Le Magazine Littéraire, Mörk (Náttblinda) est « à mille lieux de ces facéties spirituelles et poudrées, […] Ragnar JÓNASSON présente le visage livide et nu des sobres polars nordiques »1. Pour Grazia, « à 40 ans, Ragnar Jonasson s’impose désormais comme la nouvelle star du polar islandais. La relève est assurée à n’en pas douter…

Snjór, Snjóblinda dans la version originale parue en 2010, traduit à partir de la version anglaise par Philippe Reilly, a été publié par les éditions La Martinière en 2016, puis par les éditions Points en 2017 dans la collection Policier. Le style est fluide et neutre, l’auteur se contentant d’énumérer les faits simplement, sans effet de style :

« De retour dix minutes plus tard avec un sachet contenant la barquette de riz, elle mit plus de temps que d’habitude à trouver la clé dans son sac à main. Elle allait enfin savourer une soirée tranquille avec un bon petit plat. » (Page 18).

Construction : les chapitres plus ou moins longs, racontés au passé à la troisième personne, alternent l’histoire de Ari Thor, celle de Ugla, sans que l’on sache de prime abord quels sont les liens entre ces deux histoires, avec des passages en italique relatant des actes violents, des agressions, notamment celle d’une femme anonyme aux prises avec un cambrioleur qui s’est introduit chez elle ; elle raconte cette intrusion en plusieurs épisodes interrompus par un ou deux chapitres de l’intrigue développée en parallèle. On ne sait ni quand ni où se déroulent ces faits.
Fil rouge: récession économique qui a secoué l’Islande en 2008 :

« A ce qu’il comprenait, Reykjavik sombrait peu à peu dans le chaos après le crash des grandes banques. Jour après jour, les manifestations antigouvernementales paraissaient plus désespérées et plus virulentes. » (Page 49)

« Ari thor reçut sa réponse le lendemain. Elle lui parlait de son travail, de ses cours, et lui annonçait que son père venait de perdre son poste à la banque où il officiait depuis des années -un licencié parmi tant d’autres. Il savait qu’elle allait être profondément affectée par ce revers. D’autant que sa mère travaillait dans un cabinet d’architectes où les effets du crash financier risquaient de se faire sentir incessamment. » (Page 51)

Alors qu’Ari Thor vient tout juste de terminer sa formation à l’école de police de Reykjavik, Tomas, sergent qui dirige le poste de police de Siglufjordur lui propose un poste de deux ans. Certes, Siglu est un village perdu dans le nord de l’île, et la proposition de Tomas n’est pas à proprement parler bien excitante, mais Ari se dit qu’au moins cette expérience lui mettrait le pied à l’étrier et lui assurerait le quotidien pendant deux ans.

Novembre 2008. Le soleil disparaît pour ne revenir qu’en janvier, plongeant la région dans une semi-obscurité permanente. Ugla, jeune femme célibataire installée récemment à Siglu afin de fuir son passé, est heureuse dans ce coin perdu aux confins de la civilisation, en tout cas autant qu’elle peut l’être : elle a trouvé un travail intéressant à l’usine de poisson, elle habite un appartement agréable dans le centre-ville et a obtenu un premier rôle dans la pièce que prépare la Société dramatique de la ville. Son amitié avec le vieux Hrolfur comble le vide de son existence.

Tandis qu’Ari, déstabilisé par la réaction de sa petite amie Kristin qui n’approuve pas son départ loin de la capitale et de la vie qu’elle envisageait avec lui, se pose mille questions. A-t-il pris la bonne décision en venant s’installer dans ce village séparé du continent par un fjord impressionnant ? Parviendra-t-il à se faire accepter par les habitants de cette communauté rurale où tout le monde se connaît ? Réussira-t-il à s’intégrer ?

C’est alors que Hrolfur est retrouvé mort le soir de la répétition générale dans le théâtre de la ville. « Hrolfur était allongé sur le dos, au pied de l’escalier, la tête contre la marche la plus basse »… C’était la pause dîner. Le théâtre était vide. Hrolfur était resté seul. Nina, occupée au sous-sol à ranger les costumes, n’a rien entendu. Accident ? Meurtre ? En l’absence d’éléments probants, Tomas, qui ne veut pas faire de vagues, conclut à un accident et classe l’affaire. Mais Ari Thor n’est pas convaincu…

Loin des lumières et de l’agitation de la capitale, Ari Thor découvre une communauté repliée sur elle-même, où tout le monde croit connaître son voisin, mais où chacun cache des secrets : « Vieux camarades de classe, anciens collègues, amis, parents: tous les habitants de Siglufjordur semblaient connectés les uns aux autres par d’innombrables liens. » Dès lors, l’auteur attache une importance particulière à décrire les états d’âme et les ressentis de chacun, précieux outils pour le lecteur qui apprend à mieux les connaître.

Siglufjordur : à coup sûr le personnage principal de ce roman, tant la présence de ce fjord détermine non seulement tous les aspects de la vie quotidienne de ses habitants, mais également les conditions de l’enquête :

« Le crique montagneux protégeant la ville était presque entièrement blanc et on distinguait à peine les plus hauts sommets -comme s’ils avaient failli à leur devoir ces derniers jours. Comme si quelque chose d’inexpliqué, une vague menace, s’était répandu à travers la ville; quelque chose resté plus ou moins invisible, jusqu’à cette nuit. » (Page 12)…

« Il commençait à s’habituer à recevoir la presse en retard, car les éditions du matin n’atteignaient pas ce fjord reculé avant la mi-journée du lendemain. Cela n’avait pas vraiment d’importance. La vie suivait un rythme différent, ici. Le temps passait plus lentement, sans la bousculade et la précipitation de la grande ville. Les journaux arrivaient quand ils arrivaient. » (Page 52).

La météo particulièrement mauvaise installe une atmosphère pesante, créant des conditions d’enquête difficiles :

« Le fjord les accueillit sous le gris oppressant d’un ciel chargé. Des nuages traversés de bourrasques escamotaient l’encerclement des montagnes, empêchant le paysage de révéler toute sa splendeur. Sous la faible lumière, les toits des maisons se fondaient dans un monochrome uniforme; une mince couche de neige tapissait leurs jardins, traversée çà et là par des touffes d’herbe rebelles qui paraissaient refuser l’hiver. Tout autour se dressait la masse écrasante des montagnes. » (Page 40)

« Nouvelle journée sous une neige ininterrompue. Elle formait des bosses glacées dans le jardins et, en ville, empêchait tout déplacement sans patauger jusqu’aux genoux et se cogner dans les congères…La neige apportait, certes, un surcroît de lumière dans la période la plus sombre de l’année, mais elle rendait tout plus difficile. Même le 4×4 de la police avait du mal à manœuvrer. Quant à la marche à pied, elle garantissait des chaussures trempées, des chaussettes trempées et un pantalon trempé. » (Page 211).

Snjór, un premier roman très réussi, dans lequel l’auteur met ses pions en place avec dextérité, une façon subtile de composer un mobile à chacun des protagonistes en évoquant leurs rancœurs, leurs déceptions, leurs ambitions déçues, leurs regrets, véritable terreau propice au crime. Une enquête bien ficelée dans une ambiance fin du monde glaçante au sens propre comme au sens figuré.

Les passages en italique entretiennent un suspense qui, peu à peu, passe de l’inquiétude fugace à la fébrilité pour devenir une sourde angoisse envahissant chaque fibre du lecteur ; tandis qu’à Siglu les semaines défilent, le temps de ces passages reste figé, sans aucun indication précisant le lieu ou la date. Quel est le lien avec le reste du roman ? Pour le savoir, il vous faudra le lire…

Sophie PEUGNEZ
Sophie PEUGNEZ
Co-fondatrice de Zonelivre.fr. Sophie PEUGNEZ est libraire, chroniqueuse littéraire pour le journal "Coté Caen" et modératrice de débat.
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